N'en jetons presque plus ! Trions, reprenons, détournons.
L'essentiel est presque bien dit et redit, en long, en large...
Reprenons serré, de travers, à travers.
Par les moyens d'avenir du présent. Pour le présent de l'avenir.
(OTTO)KARL

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2011-01-04

au fond, le tintoret, c'est moi


G.C. — Mais ce qui est difficile c'est surtout de faire comprendre au public, qui lui n'a pas été habitué à voir de la peinture de Tintoret, n'a pas été habitué à lire des livres autour de ce peintre, donc de faire comprendre son oeuvre, sans en passer par des grandes généralités. C'est ça le plus dur. (…)
A.V. — Lui-même, selon vous, veut s'imposer comme un grand artiste, aux yeux de tous.
G.C. — Oui. Alors sans tomber dans la psychologie on sent dans les textes qui sont écrits à l'époque qu'il a une ambition assez grande et une ambition polémique. (…) Quelqu'un qui veut en découdre avec les peintres officiels de l'époque et avec la tradition aussi.
A.V. — Et c'est comme ça que vous interprétez le changement d'échelle auquel il soumet ses oeuvres au cours des années 1545-1548, où il juxtapose de très grandes figures avec d'autres figures, beaucoup plus petites.
G.C. — Oui...
(…)
G.C. — Là encore c'est une pratique assez originale, puisqu'il peint vite – ce qui agace ses contemporains, parce qu'en peignant vite il peint beaucoup et il vend moins cher –, et il invente, en fait, une technique toute simple qui est de préparer la toile avec un fond neutre, généralement sombre, qui lui permet de pas peindre la totalité de sa toile. Donc c'est ce qui lui permet d'aller vite, et il récupère aussi, nous dit-on, les pigments qui ont séché, il les gratte sur sa palette, sur le sol de son atelier, il les fait fondre pour les réutiliser dans ce fond préparatoire. Une pratique étonnante...
(…)
A.V. — Il est intéressant de se pencher sur les visages, tels que Tintoret les peint. Parce que rarement il a recours à l'expressivité.
G.C. — Oui. C'est aussi une option qu'il utilise et qui lui permet de se démarquer des autres peintres comme Titien ou Veronèse qui jouent beaucoup sur la théâtralité ou sur l'expressivité dramatique : les figures dans les représentations religieuses notamment pleurent, crient, se tordent de douleur, et chez Tintoret – alors que c'est vraiment la norme ! – il refuse catégoriquement ce type d'expressivité, et il va même nier ça dans les tableaux qui le réclament comme (…) Le massacre des innocents, où aucune mère n'est éplorée. Et c'est la disposition formelle du tableau qui dit ce drame.
(…)
A.V. — La nouveauté de son langage et sa modernité, au sens d'aujourd'hui, tient aussi au fait que la signification de sa peinture ne dépend pas uniquement du contenu, de l'histoire, de l'iconographie mais du fonctionnement même de l'image.
G.C. — Oui. Et c'est sans doute ça qui a posé tant de problèmes à la réception contemporaine de Tintoret, et le fait qu'on se soit pas tellement intéressé à lui puisque les historiens de l'art aiment beaucoup l'iconographie, essayer de comprendre les messages cachés, [etc.], et ils s'intéressent beaucoup moins à la forme, alors que c'est sans doute par la forme qu'on peut percer le travail de Tintoret, et notamment par cette volonté à chaque fois de verticaliser ses toiles il crée un effet physique sur le spectateur…
(…)
A.V. — Le spectateur a donc un rôle a jouer, aussi, c'est pas un spectateur passif.
G.C. — Non, pas du tout, c'est un spectateur actif et en cela très proche du spectateur qui visite les expositions d'art contemporain, les in situ, où on est noyé dans l'oeuvre et on participe aussi par notre mouvement à l'oeuvre. Et Tintoret travaille beaucoup ce type de scénographie.
(…)
… notamment par le jeu sur les éclairages des salles, qu'il répète à l'intérieur de ses toiles comme si c'était une continuité spatiale. Ainsi il donne une sorte de rapport entre l'espace réel et l'espace fictif et aussi il crée une communauté temporelle, entre l'histoire passée et l'histoire actuelle (…)
A.V. — La parole se substitue à l'action dans un grand nombre de ses peintures et, en même temps, c'est un peintre qui est, vous le soulignez, profondément littéraire, ne serait-ce que parce que ses personnages sacrés ont en main, souvent, des livres.