N'en jetons presque plus ! Trions, reprenons, détournons.
L'essentiel est presque bien dit et redit, en long, en large...
Reprenons serré, de travers, à travers.
Par les moyens d'avenir du présent. Pour le présent de l'avenir.
(OTTO)KARL

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2011-02-09

convanaissance (en Bretagne)

Mais ces incertitudes me tuaient ; cette situation était affreuse. Bien des fois je songeai à en sortir, violemment et à brûler ma maison pour n'avoir pas la peine de la mettre en ordre, selon l'originale expression de Rousseau. Heureusement pour moi que le suicide n'avait pas encore été mis à la mode par des exemples fameux, et je ne savais pas que se tuer fût un moyen de trouver un éditeur. Je continuai donc à traîner plusieurs mois, au milieu du tumulte de Paris, mon découragement ennuyé. Quelques tentatives nouvelles, nonchalamment essayées pour faire jouer des pièces et placer des manuscrits, restèrent sans succès et achevèrent de m'abattre. Enfin je tombai malade.
    Alors mon âme fatiguée se reprit à de vieux souvenirs. Je commencai à regretter sérieusement ma brumeuse et verte Bretagne, et le mal du pays, dont le germe avait peut-être toujours été au fond de mes découragements, me saisit avec énergie. Mon séjour à Paris, lié au souvenir de tant de désappointements, me devint insupportable. Enfin un jour, plus triste qu'à l'ordinaire, et pris d'une sorte de crise maladive, je courus rue du Bouloy, je trouvai une diligence qui partait pour ma province, et, sans plus réfléchir, je m'y jetai, laissant à Paris mes malles, mes livres, mes espérances, et faisant banqueroute à la gloire.
    J'arrivai au pays tout fiévreux et tout meurtri de mes défaites. Je fus long-temps avant de pouvoir me remettre et revenir au calme d'autrefois. J'étais comme ces marins inexpérimentés qui ont mis pied à terre avec le mal de mer, et qui longtemps après sentent encore le tangage du navire qu'ils ont quitté. Je sentais toujours autour de moi ce roulis du grand monde qui m'avait un instant étourdi ; j'éprouvais un reste de nausées, de dégoût et de colère ; j'avais comme une réminiscence du mal de Paris. Mais ces palpitations angoisseuses se calmèrent peu à peu. Je secouai les désolantes pensées sur lesquelles j'avais couché mon esprit comme sur un lit de souffrance. Alors commença pour moi une de ces convalescences morales qui ravivent et recolorent la vie. Le printemps venait de naître, et la Bretagne m'apparut dans toute sa virginale beauté. J'allai me plonger dans ses coulées ombreuses, m'asseoir à l'ombre de ses menhirs gigantesques, et j'éprouvai quelque chose de ce que dut ressentir le premier homme lorsqu'il se réveilla dans l'enchantement de son être et de la vue de l'univers qui venait d'éclore. Bientôt tout ce qu'il y avait de poétique et de neuf dans cette nature me frappa. J'admirai cette Bretagne que je n'avais jusque là considérée qu'avec le regard inattentif de l'habitude. C'était une parente près de laquelle j'avais grandi sans remarquer ses traits, et qu'après une absence je retrouvais avec surprise pleine d'un charme étrange et inaperçu. Peut-être aussi qu'au sortir de la société factice et travaillée dans laquelle j'avais roulé quelques mois, sa poétique individualité me frappa davantage. Toujours est-il que je fus saisi pour elle d'une amitié soudaine, pareille à celle qui vous prendrait pour un frère avec lequel vous auriez longtemps vécu sans intimité, et qu'une douleur imprévue, un épanchement subit, vous révélerait tout-à-coup. Je me livrai avec bonheur à l'entraînement de cette passion naissante. J'étais dans ces dispositions d'une âme enfiévrée et encore toute vibrante d'une exaltation tombée, qui portent naturellement aux enthousiasmes et aux romanesques résolutions. Je fis de mon nouveau sentiment une affection entière et profonde, une sorte de religion. Toute l'effervescence de ma volonté, portée jusqu'alors vers d'autres objets, se concentra dans cet attachement. C'était un but trouvé à mes efforts, un point d'appui pour le levier de mon intelligence. Je m'y arrêtai ; je me mis à aimer la Bretagne ainsi que j'aurais pu le faire d'une femme, et je résolus de la faire connaître dans ses secrets mérites, dans ses charmes les plus suaves et les plus ignorés. Mes études commencèrent, et je les continuai sans interruption. Mais en même temps que j'avais trouvé une occupation pour mon esprit, j'avais aussi découvert l'assiette qui convenait à ma vie. Retiré dans un travail de poésie analytique, éloigné du bruit de l'arène et n'en espérant plus les couronnes, je me trouvai tout-à-coup le cœur léger et joyeux. J'avais rencontré ma place et mon nid ; je m'y couchai heureux en rabattant mes ailes voyageuses. J'avais compris où je devais vivre désormais.
Je continuai pourtant mon travail (...). Je mis alors plus d'ordre dans mes recherches, plus de philosophie dans mes déductions. Entièrement remis du premier engouement qui m'avait porté à ces études, je résolus de ne marcher qu'avec une consciencieuse réserve. (...)
   Quant à la forme donnée à mon travail ...

(E.S.)

cf. presqu'insulaire 
cf. oùh ! la province ?

presqu'insulaire

Et la Bretagne, en général, l'air de la Bretagne, je le retrouve comme du berceau, ma source — et ressource ? À ce que j'en ressens ; ou crois ressentir. Par un certain délire peut-être. Peut-être bien. Mais la lumière, tout !... C'est comme une part de retrouvailles avec moi-même. C'est mon enfance, toute mon atmosphère – dont je suis pétri jusqu'à la « gueule », puisqu'il paraît. Jamais l'effet n'a été si fort auparavant, si prégnant. Certes je le pressentais de loin, m'y préparais, ce qui a pu jouer en sa faveur, mais ça m'a quand même pris par surprise : j'attendais le vent fort, marin… d'être sur la côte, mais ça m'a saisi dès Rennes, et sa lumière (jaune-grise), et son air, son atmosphère... de Bretagne. D'armorique !
Il faudrait que je prenne la peine de trouver les mots sur cet effet que ça me fait, mais pour ça il faudrait du temps, et c'est pas tellement mon génie. Donc c'est comme ça et puis c'est tout. Un sentiment, assez fort. J'ai bien fait de venir en hiver. Cet hiver.
(K.)


Bref. Je pourrais continuer comme ça… Mais je te dis, c'est à me demander si, au fond, ma place ne m'attendrait pas dans ce coin-là. Un jour. Et pour cause !... Qu'il faudrait pas aller chercher loin : Il paraît que le système nerveux central reste marqué, déterminé par ce qu'il épouse, ce qui l'immerge les premières années. Soi-disant. Sans parler du sang qui est le mien !... Soi-disant ; aussi. Aussi bien ? Eh oui, qu'est-ce qu'on fait de mon atavisme sanguin ? Et puis on est limite insulaire, ici, tu remarqueras bien. D'ailleurs on l'était ! Mes ancêtres, il y a des chances. J'entre pas dans les détails. Mais, est-ce que c'est pas optimal (pour moi) ne serait-ce qu'en symbole : de la presqu'île, comme ça ? Un modèle de vie ? Est-ce que c'est pas un sommet d'environnement favorable, de disposition futée ? La presqu'île... En termes de ce j'ai appelé le conditionnement réflexif. Déjà, depuis longtemps, j'adore le mot (en français), non seulement astucieux, bricoleux, bricolé et plutôt singulier, non ? et parce que magnifiquement représentatif de la chose, aussi. Jusque physiquement ; graphiquement ! PRESQU'ÎLE. Enfin, est-ce que c'est pas une aire de vie bonne, une base de bonne santé, ça ? La presqu'île. L'île c'est peut-être trop extrême, isolée ; mais la presqu'île... Ne serait-ce pas le bon terrain du/pour « s'en sortir sans sortir » ? (Comme la montagne, peut-être). Établir ses distances sans se détacher de tout, sans tout larguer, à la romantique ; non : seulement serrer le goulet, les vannes (tiens !), l'entrée de chez soi. Bref, tu vois peut-être... En tout cas, je suis de là, moi. Et las(,) du reste, j'en suis un peu là. Et le décor détermine les gestes. Et a fortiori toute la géographie d'une enfance, de zéro à plus de vingt ans, et par la suite encore — et toujours. Et encore, sans remettre ici le sang sur la table, si je puis dire ! L'histoire du sang. Eh oui !... « Contaminé » ?
(K.)

cf. convanaissance (en Bretagne)
cf. pour un autoconditionnement (ou conditionnement réflexif)
cf. comment s'en sortir sans sortir

délicatescence

Cependant un changement complet s'est insensiblement opéré en lui. Arraché aux occupations rustiques pour être jeté subitement dans le repos du corps et le travail de l'esprit, il sent tomber en même temps le cal formé sur ses mains et celui formé sur son âme. Ses membres se sont engourdis dans l'inaction ; son front basané s'est déteint à l'air des classes. Bientôt tout son corps s'amollit et s'adélicate ; le dur enfant de la campagne est devenu semblable à l'homme des villes, élevé sous verrines, et que tuerait une gelée blanche. Mais en même temps aussi, par compensation, son intelligence s'est développée ; elle a acquis des forces ; elle s'est assouplie dans l'exercice de la pensée ; son imagination enrichie a pris feu et a commencé à jeter des lueurs sur son cœur, dont il comprend mieux les mouvements et dont il analyse les désirs. La vie matérielle a cessé d'être tout pour lui ; son corps s'est amoindri, allégé, et son âme paraît à travers. Alors toutes les maladies de l'homme civilisé l'attaquent à la fois. Alors arrivent les douleurs vagues, le vide, ces tristesses sans nom et sans remède qui viennent on ne sait d'où, et font souhaiter la mort, on ne sait pourquoi. Les émotions, les désirs, les rêves trop pressés dans son cœur, y forment abcès tout-à-coup et font courir la fièvre dans toutes ses fibres.
(E.S.)

cf. écart, tellement...